Opinion : L'opportunité pour l'Afrique d’orienter le débat sur le climat vers une approche pragmatique
L'Afrique aborde la conférence sur le climat, la COP28, avec un avantage unique : une voix unifiée issue du premier Sommet africain sur le climat qui s'est tenu récemment. Cette voix s'aligne parfaitement sur celle du leadership de la COP28, qui s'est engagé à faire preuve de pragmatisme et d'action, et qui est déterminé à faire entendre la voix des pays du sud. L'Afrique doit maintenant tirer parti de cette voix unifiée lors de la COP28 et au-delà pour inciter le monde industrialisé à adopter une approche pragmatique du changement climatique, dans l'intérêt de tous.
Contrairement aux pays industrialisés, l'Afrique et, plus généralement, les pays du Sud ne peuvent s'offrir le luxe de discuter de manière théorique des questions liées à l'utilisation des combustibles fossiles pour la transition vers la décarbonation de l'économie mondiale. Le continent doit se focaliser à la fois sur la réduction des émissions et sur l'accélération du développement économique. Cette démarche est en phase avec le paradigme établi de longue date des responsabilités communes mais différenciées dans la lutte contre le changement climatique en fonction des différents stades de développement économique et social.
Inévitablement, l'approche pragmatique visant à atteindre le Net Zéro en Afrique place le gaz naturel au centre des priorités en matière de politique et d'investissement. Le gaz naturel à faible teneur en carbone, qui approvisionne de nombreux secteurs d'utilisation finale et qui est abondant en Afrique, peut être le moteur du développement du continent et de son engagement en faveur d'une économie abordable à faible teneur en carbone. L'accélération du développement économique est très probablement un catalyseur essentiel pour des engagements durables sur le plan environnemental à l'échelle et au rythme nécessaires. L'utilisation accrue du gaz naturel dans les pays à revenu élevé, tels que les États-Unis, a favorisé la compétitivité industrielle et permis une croissance rapide du déploiement de l'énergie éolienne et solaire variable. Des avantages similaires peuvent être obtenus en Afrique.
Les pays du Nord doivent respecter la manière dont le continent africain atteint ses objectifs de réduction des émissions. Le développement économique de l'Afrique, qui repose en partie sur les objectifs ambitieux d'industrialisation du continent, nécessite l'utilisation de son gaz naturel abondant. Bien que l'utilisation du gaz naturel produise des émissions de CO2, elle peut attirer de nouveaux investissements dans les énergies propres et accélérer l'adoption des énergies renouvelables en Afrique, réduisant ainsi les émissions par rapport à l'augmentation de l'activité économique.
Le continent est doté d'une énergie hydroélectrique considérable, mais il ne fait aucun doute qu'une expansion importante de l'énergie éolienne et, surtout, de l'énergie solaire est essentielle. Les centrales au gaz naturel peuvent fournir une puissance d'équilibrage, réduire l'intermittence et permettre une plus grande pénétration des énergies renouvelables. L'utilisation du gaz naturel sur le continent peut développer la chaîne d'approvisionnement africaine en vue d'une production industrielle importante, ainsi que des emplois et de l'expertise qui y sont associés. En stimulant la croissance économique, le gaz naturel contribue à améliorer le profil de risque des pays, avec pour effet d'augmenter les investissements du secteur privé dans les énergies propres.
Les pays africains doivent donc continuer à faire pression pour que la communauté internationale accepte que le gaz naturel fasse partie de leur mix énergétique et plaider, lors de la COP28, en faveur d'une stratégie de décarbonation réaliste qui associe les énergies renouvelables et le gaz naturel à grande échelle. Il s'agit notamment d'insister sur un financement multilatéral international pour les centrales électriques au gaz et les centrales hybrides, les infrastructures de gaz midstream et downstream, ainsi que pour la cuisson propre.
L'Afrique devrait également plaider avec force en faveur d'une augmentation substantielle des investissements tenant compte du climat lors de la COP. La transition vers les énergies renouvelables est bien engagée en Afrique et peut être intensifiée grâce à des engagements de financement fermes et à un pipeline de projets bancables. Les investissements annuels dans la production d'énergie renouvelable ont été multipliés par dix, passant de moins de 500 millions USD entre 2000 et 2009 à 5 milliards USD entre 2010 et 2020. Cependant, il reste encore un déficit important et des possibilités d'expansion : le continent africain possède le potentiel d'énergie solaire le plus élevé au monde, mais n'a installé que 5 gigawatts de panneaux solaires photovoltaïques, ce qui représente moins de 1 % du total mondial.
En outre, il sera essentiel d'investir dans le transport d'électricité pour mettre en œuvre ces projets d'énergie renouvelable et permettre aux pays africains d'accéder à la prospérité économique. Les besoins d'investissement dans le transport d'électricité en Afrique sont estimés à plus de 45 milliards USD au cours des huit prochaines années. De tels projets peuvent favoriser le développement durable à long terme en reliant les zones de forte production d'énergie renouvelable aux centres de demande.
Combler le déficit d'investissement dans la production et le transport d'électricité, ce qui nécessitera d'augmenter le financement du développement de projets afin de constituer un pipeline de projets verts bancables, doit être une priorité pour les pays africains lors de la COP28. Après plusieurs engagements de financement lors de COP successives et une Semaine africaine du climat inaugurale, la question de savoir comment le financement sera déployé prend de l'importance par rapport à la question de savoir d'où viendra le financement. Des structures de déploiement des financements existent déjà et doivent être développées, comme l'Alliance pour l’infrastructure verte en Afrique (AGIA). Lancée par la Commission de l'Union africaine, la Banque africaine de développement et Africa50 en partenariat avec des acteurs privés et publics de premier plan, AGIA est une solution menée par l'Afrique et axée sur l'exécution pour une transition accélérée vers le Net Zéro, avec une approche cohésive et inclusive du financement climatique.
L’engagement de 4,5 milliards USD par les Émirats arabes unis en faveur de l'Afrique pour obtenir un impact réel sur les objectifs Net Zéro à grande échelle constituent un bon modèle pour toute initiative de financement future. Les Émirats arabes unis ont annoncé des indicateurs de performance clés spécifiques, notamment le nombre de mégawatts, les délais, les types de projets et les partenaires identifiés pour la mise en œuvre, dont Africa50. Ce niveau de détail et de responsabilité des organisations chargées de la mise en œuvre fera la différence entre des engagements hésitants et des engagements qui se traduisent par un financement effectif de projets bancables et à fort impact.
L'Afrique a la possibilité de faire entendre sa voix et de faire de la COP28 l'une des COP les plus productives et les plus efficaces à ce jour. Avec l'objectif clair d'accroître le financement des énergies renouvelables et de garantir le soutien aux projets de gaz naturel, les pays africains pourront repartir de la COP28 avec des résultats tangibles qui accéléreront la marche de l'Afrique vers un développement et une décarbonation simultanés.
Auteur : Alain Ebobissé, Directeur général d'Africa50.
Catégorie: Communiqués de presse