Alassane Ba, directeur du fonds Africa50 : « Nous-nous réjouissons de la souscription massive des pays »
Le Groupe de la BAD a mis en place le Fonds Africa50 pour combler l’énorme fossé existant en matière d’investissements dans le secteur des infrastructures en Afrique. D’aucuns craignent que le Fonds Africa50 ne concurrence la BAD. Mais pour qui comprend bien les méandres du financement du développement, cette initiative ne peut qu’aider à répondre au défi du déficit en matière d’infrastructures sur le continent.
Nommé directeur général par intérim de ce nouveau fonds, Alassane Ba, qui se félicite de la forte adhésion qu’ont manifesté les pays, souligne la nécessité qu’a le Fonds Africa50 d’asseoir sa crédibilité et de lancer pleinement ses activités. Entretien.
Question : Vous avez à votre actif plus de 20 ans d'expérience en matière de gestion stratégique, de mobilisation des ressources des pays, des marchés financiers et des partenaires au développement, ainsi que dans la gestion de la performance institutionnelle, opérationnelle et financière. Pourriez-vous nous nous présenter brièvement Africa50 ?
Alassane Ba : Africa50 est une structure financière, autonome et indépendante, dédiée à la promotion et au financement de projets d’infrastructures en Afrique. L’objectif ultime d’Africa50 est de promouvoir et financer des projets d’infrastructures qui permettront à l’Afrique d’atteindre un nouveau palier de croissance, autour de 7-9 %. La BAD est l’actionnaire de référence. Elle est suffisamment reconnue pour sa compétence sur les questions de développement, sa rigueur dans la gouvernance et sa capacité à incuber et à développer de telles structures. Je rappelle qu’au cours de ces 30 dernières années, la BAD a promu la création d’Africa Re, Afreximbank et de Shelter Afrique et bien d’autres, toute performantes. Africa50 fonctionnera avec deux guichets autonomes : une Facilité de promotion des projets d’infrastructure et une Facilité de financement des projets. Elle est dotée d’un capital suffisant et régie par un cadre juridique de droit privé. C’est en fait une société anonyme avec des organes de gestion et de gouvernance comme dans le privé. Elle est constituée sur le modèle d’un partenariat public-privé, avec des actionnaires de catégorie A pour les gouvernements africains ; des actionnaires de la catégorie B pour les institutions financières africaines (sociétés de réassurance, fonds de pension, sociétés d’assurance, banques centrales et banques de développement…) ; et actionnaires de catégorie C pour le secteur privé. Africa50 est conçue pour être une entité rentable avec une politique de dividendes.
Le Fonds, dont le siège est à Casablanca au Maroc, permettra de changer les paradigmes de la réalisation des infrastructures d’aujourd’hui et de demain. L’idée est opportune, comme l’atteste la création, juste après celle d’Africa50, de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures promue par la Chine, avec des actionnaires composés de pays européens et asiatiques. Le président Kaberuka a rappelé récemment, lors d’une tournée de mobilisation du capital d’Africa50 une citation de Victor Hugo : « Il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l’heure est venue. ». C’est réellement le cas d’Africa50.
Question : Pourquoi ce nom Africa50 ?
Alassane Ba : Africa50 est un nom qui célèbre l’Afrique et ses institutions. En effet, la BAD fête ses 50 ans cette année. L’Union africaine et la Commission économique pour l’Afrique sont toutes cinquantenaires. Un dernier constat : nous avons célébré les jubilés de plusieurs pays africains ces cinq, trois et deux dernières années. Nous avons tiré les leçons du financement de développement et ses nouvelles contraintes liées à la situation interne des pays développés. Nous voulons prendre notre destin en main. Africa50 mêle expérience et innovation. Il s’agit d’une solution africaine pour résoudre les problèmes africains, et pour qu’enfin émerge l’Afrique que nous voulons.
Question : Le nombre des pays africains qui ont souhaité adhérer au Fonds Africa50 montre l’intérêt suscité par le développement des infrastructures dans la région. Où en sont les souscriptions dans la mise en place d’Africa50 ?
Alassane Ba : Nous sommes très satisfaits de la façon dont se déroule la mobilisation du capital. Plus de 15 pays aux niveaux de développement très différents ont payé le ¼ du capital souscrit, conformément aux statuts d’Africa50, les souscriptions ont atteint plus de 600 millions de dollars EU. Compte tenu des engagements des différents pays et de la nécessité de compléter les procédures internes aux pays pour les souscriptions et les paiements, le Conseil d’administration d’Africa50 a décidé, après consultation avec les pays intéressés, de proroger la période de souscription et de paiements jusqu’au 15 juin 2015. Il a été aussi décidé de tenir une assemblée générale extraordinaire le 29 juin au Maroc, au cours de laquelle l’augmentation du capital et les différents textes régissant le cadre juridique d’Africa50 seront approuvés.
Question : En quoi cette nouvelle institution est-elle importante pour les pays africains et quels bénéfices l’Afrique pourrait-elle en tirer ?
Alassane Ba : Africa50 jouera un rôle capital dans la physionomie du financement des infrastructures. Elle a un avantage compétitif distinct, lié à sa Facilité de développement des projets et à son business plan intégré. Sa gouvernance lui permet d’être une institution rapide dans ses prises de décision. Son partenariat stratégique avec la BAD lui permet aussi de profiter des avantages compétitifs de cette institution sans ses contraintes. En définitive, le Fonds sera un accélérateur des projets d’infrastructure. Il est espéré que Africa50 réduira les délais de préparation jusqu’au financement à 3-4 ans, au lieu des 7 à 0 ans comme c’est le cas actuellement.
Comme toute institution financière, il est prévu d’avoir un effet de levier financier modéré, qui permettra d’attirer des ressources des marchés de capitaux africains et non africains. Avec un investissement initial de 100 millions de dollars EU, la BAD pourra créer une institution financière, dont le total du bilan pourrait atteindre des dizaines de milliards de dollars.
Compte tenu de tous ces paramètres très positifs, Afric50 aura des impacts importants sur les économies africaines comme accélérateur de la réalisation d’infrastructures.
Africa50 sera une entité rentable avec une politique de dividende pour rémunérer le capital investi. Outre les avantages économiques et sociaux générés, il faut toujours se rappeler qu’Africa50 est un bon placement financier.
Question : D’aucuns pensent que l’existence du Fonds Afrique50 pourrait affaiblir, voire limiter, le rôle de la BAD dans ce domaine. Certains le voient comme un rival de la BAD. Comment l’expliquez-vous ?
Alassane Ba : La relation entre la BAD et Africa50 est une relation filiale. Africa50 sera un bon complément de la BAD dans la préparation des projets et dans leur cofinancement. Etant l’actionnaire de référence du Fonds, la BAD assurera l’influence stratégique nécessaire pour assurer la synergie entre les deux institutions. Il est plus qu’obligatoire que la BAD et Africa50 travaillent main dans la main pour assurer la disponibilité de solutions efficaces à la réalisation de projets d’infrastructure. Leur rôle respectif est de faire en sorte de maximiser les projets bancables pour répondre aux besoins des pays, dans un cadre de division du travail bien définie entre les deux institutions. En fait, parler de compétition entre les deux institutions quand la BAD siège au Conseil d’administration d’Africa50 est illusoire. Le rôle du Conseil est de définir, entre autres, les orientations stratégiques d’Africa50, y compris les partenariats stratégiques avec des institutions comme la BAD. Ensuite, compte tenu du déficit d’infrastructures en Afrique et connaissant l’intensité de capital nécessaire, il avoir un tel préjugé est illogique. Enfin, le cadre de gestion des risques de crédit contraindra Africa50 à recourir à des co-financiers ; et la BAD sera son co-financier privilégié. Toutes ces questions seront traitées dans le cadre du mémorandum d’entente entre les deux institutions. Au demeurant, Africa50 a été créé pour optimiser le développement et le financement des infrastructures. Dans ce contexte, la BAD joue un rôle de premier plan compte tenu de son expérience, de son expertise et de sa surface financière, ainsi que de ses relations stratégiques avec les pays et certains opérateurs clés dans ce secteur. La BAD est et restera l’institution pivot à laquelle Africa50 doit s’adosser pour atteindre ses objectifs.
Question : Le marché des infrastructures en Afrique est actuellement fragmenté. On se réjouit de savoir qu’Africa50 a pour ambition d'agir comme un "one-stop-shop". Comment comptez-vous vous y prendre pour accélérer la mise en œuvre des investissements d'infrastructures dans la région ?
Alassane Ba : Sur le marché des infrastructures, le segment le moins bien financé actuellement est la préparation de projets. Les besoins sont énormes or il y a une rareté des sources de financement. Africa50 aidera à financer ce segment et j’espère que d’autres institutions augmenteront les ressources disponibles pour les financements de la préparation, particulièrement les études de pré-faisabilité et de faisabilité. Le Fonds sera l’institution qui accélérera les projets en intervenant dès en amont à travers la facilité de développement de projets. Nous espérons que ce business model fera des émules et sera amplifié. Africa50 est l’un des pionniers pour un business plan intégré du début à la fin, ce qui lui a valu le concept de « one stop shop ». C’est une proposition de valeur unique.